EXPOSITION DU 25 MARS 2016 AU 4 JUIN 2016

«J’ai peint des rois et des prostituées. Je ne peins pas les gens parce qu’ils sont célèbres. Je peins ceux qui m’inspirent et me font vibrer» (Tamara de Lempicka)

Si la plupart des Italiens connaissent le quartier de l’Ortica, une grande partie du mérite revient à Enzo Jannacci, un chansonnier milanais qui sut raconter avec humour en 1966 les braquages d’une bande de malfrats mal aiguillés par un guet borgne, originaire de ce quartier situé dans la banlieue est de Milan. Comme toute métropole, Milan a profondément évolué au cours des dernières décennies. L’Ortica n’est plus cette aire mi-campagne mi-ville mise en musique par Jannacci, mais un quartier dynamique auquel le duo d’Orticanoodles a emprunté en 2004 une partie de son nom de rue, quand Wally et Alita ont commencé à coller des stickers et des affiches dans les rues.
Milan venait alors d’héberger Arte Impropria (Art Impropre), l’une des premières expositions internationales de ce mouvement aujourd’hui labélisé street art, et s’apprêtait à accueillir deux autres projets – The Urban Edge en 2005 et Street Art Sweet Art en 2007 – qui en firent l’une des capitales internationales de l’art urbain. Le contexte était donc des plus fertiles pour de jeunes artistes ayant décidé de se dédier à une exploration artistique urbaine très poussée. Depuis, la guérilla visuelle des débuts a laissé sa place à un art de rue plus réfléchi, prêt à traduire en image des préoccupations d’ordre social et historique, comme dans la fresque monumentale de la partisane Francesca Rolla peinte à Carrare en 2013, quelques années seulement après sa disparition. Orticanoodles a accompagné ce changement d’attitude vis-à-vis de la rue avec une évolution impressionnante des techniques employées pour réaliser ses oeuvres. Les stickers et les affiches des débuts ont, en effet, laissé progressivement leur place à la découpe de pochoirs, technique dans laquelle Orticanoodles s’est rapidement imposé comme l’une des références internationales, aux côtés de l’espagnole B-Toy, de l’américain Logan Hicks ou du français C215. Le dernier défi en date, la transposition à une échelle monumentale de pochoirs normalement destinés à des murs de tailles petites et moyennes, voit encore Orticanoodles au premier rang, prêt avec ses pots de couleurs à concurrencer les grandes fresques peintes en bichromie par le pochoiriste polonais M-City ou en trichromie par l’américain Shepard Fairey alias Obey. L’impressionnante cheminée de 55 mètres de hauteur de l’usine Branca à Milan, leur dernière intervention en date, modifie profondément le skyline du quartier. Néanmoins, le point commun à la plupart de leurs interventions monumentales est leur transformation en de véritables projets d’art public, où les spectateurs participent à la définition du sujet et, parfois, même à la réalisation des fresques murales.
Pour Humans, leur première exposition personnelle en France, Orticanoodles a composé deux différentes séries d’oeuvres, représentatives de leurs recherches des dernières années, autour d’un thème commun : le portrait de personnages anonymes que les artistes ont rencontré tout au long de leur vie. Le pouvoir iconique des stars qui ont souvent attiré leur attention, comme Mandela, Warhol, Basquiat et William Burroughs, passe aujourd’hui au second plan, et laisse sa place à des visages auxquels Orticanoodles associe des expériences de vie, des voyages et des souvenirs. Une sorte d’autoportrait composé des regards que les autres ont posé sur eux, qui remémore le récit du célèbre roman de Luigi Pirandello, Uno Nessuno Centomila, dans lequel l’écrivain prend conscience, suite aux recherches de Freud et Jung, que l’homme n’est pas un et que la réalité n’est pas objective.
La première série de tableaux, peints sur des assemblages de bois, poussent la technique du pochoir à son extrême. La recherche ne vise pas ici à transformer le médium en message, comme le fait le célèbre Banksy. Le défi est, plutôt, la multiplication – 10, 15, 20, parfois 25 – de layers (les feuilles d’acétate découpées), afin de générer une force visuelle capable de capturer, dialoguer et nourrir le regard des spectateurs. Pour Orticanoodles, le message n’est pas tout. Le mélange savant entre des bouts de visages, peints sur certaines plaques de bois qui composent l’oeuvre, et des copies morcelées d’après les enseignes peintes des devantures de magasins de la Belle Époque, génère un patchwork urbain attrayant. Des hommes et des femmes anonymes se rencontrent dans le tableau comme dans la ville, exactement comme dans la vraie vie. La deuxième série met est plus radicale et met à nu la technique même du pochoir. En effet, l’artiste expose non pas l’oeuvre finie et peinte à l’aide du pochoir, mais la feuille d’acétate découpée et utilisée en atelier. Placée entre deux plaques de plexiglass, le pochoir s’expose dans toute sa transparence délicate, tandis que la lumière projeté sur l’objet donne corps à l’image sur le mur.
Du quartier de l’Ortica aux rues du monde entier, Orticanoodles a imposé, au cours de la dernière décennie, son nom comme l’une des références internationales dans l’art du pochoir. Leurs peintures murales monumentales plus récentes rendent compte de l’intérêt que ce couple porte pour le développement incessant de cette esthétique « Adobe » liée autant aux logiciels de traitement d’images produits par cette marque, qu’ à l’arrivée des premiers ordinateurs Apple dans les maisons de la classe moyenne occidentale. Il n’en reste pas moins que le noyau de leur recherche reste confié aux hommes et à la rue, qu’il s’agisse d’attirer le regard des passants sur un grand homme ou de saisir, dans son travail d’atelier, l’une des milles et une personnalités des hommes et des femmes que nous croisons tous les jours sur notre chemin.

Christian Omodeo